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nuages s’épaississaient dans le ciel. Vers dix heures éclata un violent orage. Svidrigaïloff arriva chez lui trempé jusqu’aux os. Il s’enferma dans son logement, ouvrit son secrétaire d’où il retira tous ses fonds, et déchira deux ou trois papiers. Après avoir mis son argent en poche, il pensa à changer de vêtements ; mais, comme la pluie continuait à tomber, il jugea que cela n’en valait pas la peine, prit son chapeau et sortit sans fermer la porte de son appartement. Il se rendit droit au domicile de Sonia, qu’il trouva chez elle.

La jeune fille n’était pas seule, elle avait autour d’elle quatre petits enfants appartenant à la famille Kapernaoumoff. Sophie Séménovna leur faisait boire du thé. Elle accueillit respectueusement le visiteur, regarda avec surprise ses vêtements mouillés, mais ne dit pas un mot. À la vue d’un étranger, tous les enfants s’enfuirent aussitôt, saisis d’une frayeur indescriptible.

Svidrigaïloff s’assit près de la table et invita Sonia à prendre place à côté de lui. Elle se prépara timidement à écouter ce qu’il avait à lui dire.

— Sophie Séménovna, commença-t-il, je vais peut-être me rendre en Amérique, et comme, selon toute probabilité, nous nous voyons pour la dernière fois, je suis venu régler quelques affaires. Eh bien, vous êtes allée aujourd’hui chez cette dame ? Je sais ce qu’elle vous a dit, inutile de me le raconter. (Sofia fit un mouvement et rougit.) Ces gens-là ont leurs préjugés. Pour ce qui est de vos sœurs et de votre frère, leur sort est assuré, l’argent que je destinais à chacun d’eux a été remis par moi en mains sûres. Voici les récépissés : à tout hasard, prenez-les. Maintenant, voici pour vous personnellement trois titres de cinq pour cent représentant une somme de trois mille roubles. Je désire que cela reste entre nous et que personne n’en ait connaissance. Cet argent vous est nécessaire, Sophie Séménovna, car vous ne pouvez continuer à vivre ainsi.