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j’attends, poursuivit Svidrigaïloff, dont la gaieté avait quelque chose de sinistre : si vous tardez, j’aurai le temps de vous saisir avant que vous vous soyez mise en état de défense.

Frissonnante, Dounetchka arma rapidement le revolver, et en menaça de nouveau son persécuteur.

— Laissez-moi ! dit-elle avec désespoir : je jure que je vais encore tirer… Je… je vous tuerai !…

— À trois pas, il est impossible, en effet, que vous me manquiez. Mais si vous ne me tuez pas, alors…

Dans les yeux étincelants de Svidrigaïloff on pouvait lire le reste de sa pensée.

Il fit encore deux pas en avant.

Dounetchka tira ; le revolver fit long feu.

— L’arme n’a pas été bien chargée. N’importe, cela peut se réparer ; vous avez encore une capsule. J’attends.

Debout à deux pas de la jeune fille, il fixait sur elle un regard enflammé qui exprimait la résolution la plus indomptable. Dounia comprit qu’il mourrait plutôt que de renoncer à son dessein. « Et… et, sans doute, elle le tuerait maintenant qu’il n’était plus qu’à deux pas d’elle !… »

Tout à coup elle jeta le revolver.

— Vous refusez de tirer ! dit Svidrigaïloff étonné, et il respira longuement. La crainte de la mort n’était peut-être pas le plus lourd fardeau dont il sentait son âme délivrée ; toutefois il lui aurait été difficile de s’expliquer à lui-même la nature du soulagement qu’il éprouvait.

Il s’approcha de Dounia et la prit doucement par la taille. Elle ne résista point, mais, toute tremblante, le regarda avec des yeux suppliants. Il voulut parler, sa bouche ne put proférer aucun son.

— Lâche-moi ! pria Dounia.

S’entendant tutoyer d’une voix qui n’était plus celle de tout à l’heure, Svidrigaïloff frissonna.

— Ainsi tu ne m’aimes pas ? demanda-t-il d’un ton bas.