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l’entrée du logement de Sophie Séménovna, regardez, il n’y a personne ! Vous ne le croyez pas ? Demandez aux Kapernaoumoff ; elle leur laisse sa clef. Voici justement madame Kapernaoumoff elle-même. Eh bien ? Quoi ? (Elle est un peu sourde.) Sophie Séménovna est sortie ? Où est-elle allée ? Êtes-vous fixé à présent ? Elle n’est pas ici et elle ne reviendra peut-être que fort tard dans la soirée. Allons, maintenant venez chez moi. N’aviez-vous pas l’intention de me faire aussi une visite ? Nous voici dans mon appartement. Madame Resslich est absente. Cette femme-là a toujours mille affaires en train, mais c’est une excellente personne, je vous l’assure ; peut-être vous serait-elle utile si vous étiez un peu plus raisonnable. Vous voyez : je prends dans mon secrétaire un titre de cinq pour cent (regardez combien il m’en restera encore !) ; celui-ci va être aujourd’hui converti en espèces. Vous avez bien vu ? Je n’ai plus rien à faire ici, je ferme mon secrétaire, je ferme mon logement, et nous revoici sur l’escalier. Si vous voulez, nous allons prendre une voiture, je vais aux Îles. Est-ce qu’une petite promenade en calèche ne vous dit rien ? Vous entendez, j’ordonne à ce cocher de me conduire à la pointe d’Élaguine. Vous refusez ? Vous en avez assez ? Allons, laissez-vous tenter. La pluie menace, mais qu’à cela ne tienne, nous relèverons la capote…

Svidrigaïloff était déjà en voiture. Quelque éveillée que fût la défiance de Raskolnikoff, ce dernier pensa qu’il n’y avait pas péril en la demeure. Sans répondre un mot, il fit volte-face et rebroussa chemin dans la direction du Marché-au-Foin. S’il avait retourné la tête, il aurait pu voir que Svidrigaïloff, après avoir fait cent pas en voiture, mettait pied à terre et payait son cocher. Mais le jeune homme marchait sans regarder derrière lui. Il eut bientôt tourné le coin de la rue. Comme toujours quand il se trouvait seul, il ne tarda pas à tomber dans une profonde rêverie. Arrivé sur le pont, il s’arrêta devant la balustrade et tint ses yeux