Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour affaire, mais dans l’espoir que je vous dirais quelque chose de nouveau, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? répéta avec un sourire finaud Svidrigaïloff : — eh bien, figurez-vous que moi-même, en me rendant à Pétersbourg, je comptais aussi que vous me diriez quelque chose de nouveau, j’espérais pouvoir vous emprunter quelque chose ! Voilà comme nous sommes, nous autres riches !

— M’emprunter quoi ?

— Est-ce que je sais ? Vous voyez dans quel misérable traktir je suis toute la journée, reprit Svidrigaïloff ; ce n’est pas que je m’y amuse, mais il faut bien passer son temps quelque part. Je me distrais avec cette pauvre Katia qui vient de sortir… Si j’avais la chance d’être un goinfre, un gastronome de club, mais non : voilà tout ce que je peux manger ! (Il montrait du doigt, sur une petite table placée dans un coin, un plat de fer-blanc qui contenait les restes d’un mauvais beefsteak aux pommes.) À propos, avez-vous dîné ? Quant au vin, je n’en bois pas, à l’exception du champagne, et encore un verre me suffit pour toute la soirée. Si j’ai demandé cette bouteille aujourd’hui, c’est parce que je dois aller quelque part tout à l’heure : j’ai voulu, au préalable, me monter un peu la tête. Vous me voyez dans une disposition d’esprit particulière. Tantôt je me suis caché comme un écolier, parce que j’appréhendais dans votre visite un dérangement pour moi ; mais je crois pouvoir passer une heure avec vous, il est maintenant quatre heures et demie, ajouta-t-il après avoir regardé sa montre. — Le croiriez-vous ? il y a des moments où je regrette de n’être rien, ni propriétaire, ni père de famille, ni uhlan, ni photographe, ni journaliste !… C’est parfois ennuyeux de n’avoir aucune spécialité. Vraiment, je pensais que vous me diriez quelque chose de nouveau.

— Qui êtes-vous, et pourquoi êtes-vous venu ici ?

— Qui je suis ? Vous le savez : je suis gentilhomme, j’ai