bourg, et déjà on l’eût pris pour un vieil habitué de la maison. Le garçon, Philippe, le connaissait et lui témoignait des égards particuliers. La porte donnant accès à la salle était fermée. Svidrigaïloff se trouvait comme chez lui dans cette petite pièce où il passait peut-être les journées entières. Le traktir, sale et ignoble, n’appartenait même pas à la catégorie moyenne des établissements de ce genre.
— J’allais chez vous, commença Raskolnikoff ; — mais comment se fait-il qu’en quittant le Marché-au-Foin j’aie pris la perspective *** ? Je ne passe jamais par ici. Je prends toujours à droite au sortir du Marché-au-Foin. Ce n’est pas non plus le chemin pour aller chez vous. À peine ai-je tourné de ce côté que je vous aperçois ! C’est étrange !
— Pourquoi ne dites-vous pas tout de suite : C’est un miracle ?
— Parce que ce n’est peut-être qu’un hasard.
— C’est un pli que tout le monde a ici ! reprit en riant Svidrigaïloff — lors même qu’au fond on croit à un miracle, on n’ose pas l’avouer ! Vous dites vous-même que ce n’est « peut-être » qu’un hasard. Combien peu l’on a ici le courage de son opinion, vous ne pouvez vous l’imaginer, Rodion Romanovitch ! Je ne dis pas cela pour vous. Vous possédez une opinion personnelle, et vous n’avez pas craint de l’affirmer. C’est même par là que vous avez attiré ma curiosité.
— Par là seulement ?
— C’est bien assez.
Svidrigaïloff était dans un visible état d’excitation, bien qu’il n’eût bu qu’un demi-verre de vin.
— Quand vous êtes venu chez moi, me semble-t-il, vous ignoriez encore si je pouvais avoir ce que vous appelez une opinion personnelle, observa Raskolnikoff.
— Alors c’était autre chose. Chacun a ses affaires. Mais quant au miracle, je vous dirai que vous avez appa-