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certains points d’une façon si topique que j’en ai été moi-même étonné ; malgré cela, ses déclarations m’ont laissé totalement incrédule, je suis resté aussi inébranlable qu’un roc.

— Razoumikhine m’a dit tout à l’heure qu’à présent vous étiez convaincu de la culpabilité de Mikolka, vous-même lui auriez assuré que…

Il ne put achever, le souffle lui manqua.

— M. Razoumikhine ! s’écria Porphyre Pétrovitch, qui semblait bien aise d’avoir entendu enfin une observation sortir de la bouche de Raskolnikoff : — hé ! hé ! hé ! Mais il s’agissait pour moi de me débarrasser de M. Razoumikhine, qui venait chez moi avec des airs éplorés, et qui n’a rien à voir dans cette affaire. Laissons-le de côté, si vous le voulez bien. Quant à Mikolka, vous plaît-il de savoir ce qu’il est ou du moins quelle idée je me fais de lui ? Avant tout, c’est comme un enfant, il n’a pas atteint sa majorité. Sans être précisément une nature poltronne, il est impressionnable comme un artiste. Ne riez pas, si je le caractérise de la sorte. Il est naïf, sensible, fantasque. Dans son village, il chante, il danse, et il narre des contes que viennent entendre les paysans des campagnes voisines. Il lui arrive de boire jusqu’à perdre la raison, non qu’il soit à proprement parler un ivrogne, mais parce qu’il ne sait pas résister à l’entraînement de l’exemple, quand il se trouve avec des camarades. Il ne comprend pas qu’il a commis un vol en s’appropriant l’écrin ramassé par lui : « Puisque je l’ai trouvé par terre, dit-il, j’avais bien le droit de le prendre. » Au dire des gens de Zaraïsk, ses compatriotes, il avait une dévotion exaltée, passait les nuits à prier Dieu et lisait sans cesse les livres saints, « les vieux, les vrais ». Pétersbourg a fortement déteint sur lui ; une fois ici, il s’est adonné au vin et aux femmes, ce qui lui a fait oublier la religion. J’ai su qu’un de nos artistes s’était intéressé à lui et avait