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attendu un moment, et puis je suis parti sans laisser mon nom à votre servante. Vous ne fermez jamais ?

La physionomie de Raskolnikoff s’assombrissait de plus en plus. Porphyre Pétrovitch devina sans doute à quoi il pensait.

— Je suis venu m’expliquer, cher Rodion Romanovitch ! Je vous dois une explication, poursuivit-il avec un sourire et en frappant légèrement sur le genou du jeune homme ; mais, presque au même instant, son visage prit une expression sérieuse, triste même, au grand étonnement de Raskolnikoff, à qui le juge d’instruction se montrait ainsi sous un jour fort inattendu. La dernière fois que nous nous sommes vus, il s’est passé une scène étrange entre nous, Rodion Romanovitch. J’ai eu peut-être de grands torts envers vous, je le sens. Vous vous rappelez comme nous nous sommes quittés : nous avions les nerfs très-excités, vous et moi. Nous avons manqué aux convenances les plus élémentaires, et pourtant nous sommes des gentlemen.

« Où veut-il en venir ? » se demandait Raskolnikoff, qui ne cessait de considérer Porphyre avec une curiosité inquiète.

— J’ai pensé que nous ferions mieux désormais d’agir avec sincérité, reprit le juge d’instruction en détournant un peu la tête et en baissant les yeux comme s’il eût craint cette fois de troubler par ses regards son ancienne victime : — il ne faut pas que de pareilles scènes se renouvellent. L’autre jour, sans l’arrivée de Mikolka, je ne sais pas jusqu’où les choses seraient allées. Vous êtes naturellement très-irascible, Rodion Romanovitch ; c’est là-dessus que j’avais tablé, car, poussé à bout, un homme laisse parfois échapper ses secrets. « Si je pouvais, me disais-je, lui arracher une preuve quelconque, fût-elle la plus mince, mais une preuve réelle, tangible, palpable, autre chose enfin que toutes ces inductions psychologiques ! » Voilà le calcul que j’avais fait.