il s’est déjà écoulé bien du temps depuis ce matin, et je n’ai encore ni vent ni nouvelle de Porphyre. Qui sait, pourtant, si ce n’est pas plutôt mauvais signe ?… »
Raskolnikoff prit sa casquette et, après avoir tenu conseil avec lui-même, se décida à sortir. Ce jour-là, pour la première fois depuis bien longtemps, il se sentait en pleine possession de ses facultés intellectuelles. « Il faut en finir avec Svidrigaïloff, pensait-il, et, coûte que coûte, expédier cette affaire le plus tôt possible ; d’ailleurs, il paraît attendre ma visite. » En cet instant, une telle haine déborda tout à coup de son cœur que, s’il avait pu tuer l’un ou l’autre de ces deux êtres détestés : Svidrigaïloff ou Porphyre, il n’aurait sans doute pas hésité à le faire.
Mais à peine venait-il d’ouvrir la porte, qu’il se rencontra nez à nez dans le vestibule avec Porphyre lui-même. Le juge d’instruction venait chez lui. Tout d’abord Raskolnikoff resta stupéfait, mais il se remit presque aussitôt. Chose étrange, cette visite ne l’étonna pas trop et ne lui causa presque aucune frayeur. « C’est peut-être le dénoûment ! Mais pourquoi a-t-il amorti le bruit de ses pas ? Je n’ai rien entendu. Peut-être écoutait-il derrière la porte ? »
— Vous n’attendiez pas ma visite, Rodion Romanovitch ! fit gaiement Porphyre Pétrovitch. Je me proposais depuis longtemps d’aller vous voir, et, en passant devant votre maison, j’ai pensé à vous dire un petit bonjour. Vous étiez sur le point de sortir ? Je ne vous retiendrai pas. Cinq minutes seulement, le temps de fumer une petite cigarette, si vous permettez…
— Mais asseyez-vous, Porphyre Pétrovitch, asseyez-vous, dit Raskolnikoff en offrant un siège au visiteur d’un air si affable et si satisfait, que lui-même en aurait été surpris s’il avait pu se voir. Toute trace de ses impressions précédentes avait disparu. Ainsi parfois l’homme qui, aux prises avec un brigand, a passé durant une demi-heure par des angoisses