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— Ah ! il mange, par conséquent il n’est pas malade ! dit le visiteur, qui prit une chaise et s’assit près de la table, en face de Raskolnikoff. Il était fort agité et ne cherchait pas à le cacher. Il parlait avec une colère visible, mais sans se presser et sans élever extrêmement la voix. On pouvait supposer que quelque motif sérieux l’avait amené. — Écoute, commença-t-il d’un ton décidé, je vous lâche tous, parce que je vois maintenant, je vois de la façon la plus claire que votre jeu est indéchiffrable pour moi. Ne crois pas, je te prie, que je sois venu t’interroger. Je m’en moque ! Je ne me soucie pas de te tirer les vers du nez. Maintenant, tu me dirais toi-même tout, tous vos secrets, il est bien probable que je ne voudrais pas les entendre : je cracherais et je m’en irais. Je suis venu à seule fin de m’édifier d’abord personnellement sur ton état mental. Vois-tu ? il y a des gens qui te croient fou ou à la veille de l’être. Je t’avoue que j’étais moi-même très-disposé à partager cette opinion, vu que ta manière d’agir est stupide, assez vilaine et parfaitement inexplicable. D’autre part, que penser de ta récente conduite à l’égard de ta mère et de ta sœur ? Quel homme, à moins d’être une canaille ou un fou, se serait comporté avec elles comme tu l’as fait ? Donc, tu es fou…

— Quand les as-tu vues ?

— Tout à l’heure. Et toi, tu ne les vois plus ? Dis-moi, je te prie, où tu roules ainsi toute la journée, j’ai déjà passé trois fois chez toi. Depuis hier, ta mère est sérieusement malade. Elle a voulu venir te voir. Avdotia Romanovna s’est efforcée de l’en détourner, mais Pulchérie Alexandrovna n’a rien voulu entendre : « S’il est malade, s’il a l’esprit dérangé, a-t-elle dit, qui lui donnera des soins, sinon sa mère ? » Pour ne pas la laisser aller seule, nous nous sommes tous rendus ici, et durant la route nous la suppliions sans cesse de se calmer. Quand nous sommes arrivés, tu étais absent. Tiens, voilà la place où elle s’est assise, elle