moments, des heures et peut-être même des jours où, par contre, il était plongé dans une apathie morne, comparable seulement à l’indifférence de certains moribonds.
En général, dans ces derniers temps, loin de chercher à se rendre un compte exact de sa situation, il s’efforçait de n’y point songer. Certains faits de la vie courante, qui ne souffraient pas d’ajournement, s’imposaient malgré lui à son attention ; en revanche, il négligeait à plaisir les questions dont l’oubli, dans une position comme la sienne, ne pouvait que lui être fatal.
Il avait surtout peur de Svidrigaïloff. Depuis que ce dernier lui avait répété les paroles prononcées par lui dans la chambre de Sonia, les pensées de Raskolnikoff avaient pris comme une direction nouvelle. Mais, bien que cette complication imprévue l’inquiétât extrêmement, le jeune homme ne se pressait pas de tirer la chose au clair. Parfois, quand il avait égaré ses pas dans quelque quartier lointain et solitaire de la ville, quand il se voyait attablé seul dans un méchant traktir sans se rappeler par quel hasard il était entré là, il songeait tout à coup à Svidrigaïloff : il se promettait d’avoir le plus tôt possible une explication décisive avec cet homme dont la pensée l’obsédait.
Un jour qu’il était allé se promener quelque part au delà de la barrière, il se figura même qu’il avait donné rendez-vous à Svidrigaïloff en cet endroit. Une autre fois, en s’éveillant avant l’aurore, il fut fort étonné de se trouver couché par terre au milieu d’un taillis. Du reste, pendant les deux ou trois jours qui suivirent la mort de Catherine Ivanovna, Raskolnikoff eut deux fois l’occasion de rencontrer Svidrigaïloff : d’abord dans la chambre de Sonia, ensuite dans le vestibule, près de l’escalier conduisant chez la jeune fille.
Dans ces deux circonstances, ils se bornèrent à échanger quelques mots très-brefs et s’abstinrent d’aborder le point capital, comme si, par un accord tacite, ils se fussent