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SIXIÈME PARTIE


I

La situation de Raskolnikoff était étrange : on eût dit qu’une sorte de brouillard l’enveloppait et l’isolait du reste des hommes. Quand, dans la suite, il se rappelait cette époque de sa vie, il devinait qu’il avait dû perdre parfois la conscience de lui-même, et que cet état avait duré, avec certains intervalles lucides, jusqu’à la catastrophe définitive. Il était positivement convaincu qu’il avait commis alors beaucoup d’erreurs ; par exemple, que la succession chronologique des événements lui avait souvent échappé. Du moins, lorsque plus tard il voulut rassembler et mettre en ordre ses souvenirs, force lui fut de recourir à des témoignages étrangers pour apprendre nombre de particularités sur lui-même.

Il confondait, notamment, un fait avec un autre, ou bien il considérait tel incident comme la conséquence d’un autre qui n’existait que dans son imagination. Quelquefois il était dominé par une crainte maladive qui dégénérait même en terreur panique. Mais il se souvint aussi qu’il y avait eu des