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l’objet lui causa soudain une impression douloureuse. Il s’était rendu chez Sonia, se disant que son seul refuge, son seul espoir était en elle ; il avait cédé à un besoin irrésistible d’épancher son chagrin ; maintenant que la jeune fille lui avait donné tout son cœur, il s’avouait qu’il était infiniment plus malheureux qu’auparavant.

— Sonia, dit-il, — il vaut mieux que tu ne viennes pas me voir pendant ma détention.

Sonia ne répondit pas, elle pleurait. Quelques minutes s’écoulèrent.

— As-tu une croix sur toi ? demanda-t-elle inopinément, comme frappée d’une idée subite.

D’abord il ne comprit pas la question.

— Non, tu n’en as pas ? Eh bien, prends celle-ci, elle est en bois de cyprès. J’en ai une autre en cuivre, qui me vient d’Élisabeth. Nous avons fait un échange, elle m’a donné sa croix et je lui ai donné une image. Je vais porter maintenant la croix d’Élisabeth, et toi, tu porteras celle-ci. Prends-la… c’est la mienne ! insista-t-elle. Nous irons ensemble à l’expiation, ensemble nous porterons la croix.

— Donne ! dit Raskolnikoff pour ne pas lui faire de peine, et il tendit la main, mais presque aussitôt il la retira.

— Pas maintenant, Sonia. Plus tard, cela vaudra mieux, ajouta-t-il en manière de concession.

— Oui, oui, plus tard, répondit-elle avec chaleur, — je te la donnerai au moment de l’expiation. Tu viendras chez moi, je te la mettrai au cou, nous ferons une prière, et puis nous partirons.

Au même instant, trois coups furent frappés à la porte.

— Sophie Séménovna, peut-on entrer ? fit une voix affable et bien connue.

Sonia, inquiète, courut ouvrir. Le visiteur n’était autre que Lébéziatnikoff.