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Écoute, poursuivit-il un moment après, assez pleuré ; il est temps de parler sérieusement ; je suis venu te dire qu’à présent on me cherche, on va m’arrêter…

— Ah ! fit Sonia épouvantée.

— Eh bien, qu’as-tu donc ? Puisque toi-même tu désires que j’aille aux galères, de quoi t’effrayes-tu ? Seulement voici : ils ne m’ont pas encore. Je leur donnerai du fil à retordre et, en fin de compte, ils n’aboutiront à rien. Ils n’ont pas d’indices positifs. Hier, j’ai couru un grand danger et j’ai bien cru que c’en était fait de moi. Aujourd’hui, le mal est réparé. Toutes leurs preuves sont à deux fins, c’est-à-dire que les charges produites contre moi, je puis les expliquer dans l’intérêt de ma cause, comprends-tu ? et je ne serai pas embarrassé pour le faire, car maintenant j’ai acquis de l’expérience… Mais on va certainement me mettre en prison. Sans une circonstance fortuite, il est même très-probable qu’on m’aurait déjà coffré aujourd’hui, et je risque encore d’être arrêté avant la fin du jour… Seulement ce n’est rien, Sonia : ils m’arrêteront, mais ils seront forcés de me relâcher, parce qu’ils n’ont pas une preuve véritable, et ils n’en auront pas, je t’en donne ma parole. Sur de simples présomptions comme les leurs, on ne peut pas condamner un homme. Allons, assez… Je voulais seulement te prévenir… Quant à ma mère et à ma sœur, je vais m’arranger de façon qu’elles ne s’inquiètent pas. Il paraît que ma sœur est maintenant à l’abri du besoin ; je puis donc me rassurer aussi en ce qui concerne ma mère… Eh bien, voilà tout. Du reste, sois prudente. Tu viendras me voir quand je serai en prison ?

— Oh ! oui, oui !

Ils étaient assis côte à côte, tristes et abattus comme deux naufragés jetés par la tempête sur un rivage désert. En regardant Sonia, Raskolnikoff sentit combien elle l’aimait, et, chose étrange, cette tendresse immense dont il se voyait