— Eh, Sonia ! fit-il avec irritation ; une réponse lui vint aux lèvres, mais il s’abstint dédaigneusement de la formuler. Ne m’interromps pas, Sonia ! Je voulais seulement te prouver une chose : le diable m’a conduit chez la vieille, et ensuite il m’a fait comprendre que je n’avais pas le droit d’y aller, attendu que je suis une vermine ni plus ni moins que les autres ! Le diable s’est moqué de moi, voilà qu’à présent je suis venu chez toi ! Si je n’étais pas une vermine, est-ce que je t’aurais fait cette visite ? Écoute : quand je me suis rendu chez la vieille, je ne voulais que faire une expérience… Sache cela !
— Et vous avez tué ! vous avez tué !
— Mais, voyons, comment ai-je tué ? Est-ce ainsi qu’on tue ? S’y prend-on comme je m’y suis pris, quand on va assassiner quelqu’un ? Je te raconterai un jour les détails… Est-ce que j’ai tué la vieille ? Non, c’est moi que j’ai tué, que j’ai perdu sans retour !… Quant à la vieille, elle a été tuée par le diable, et non par moi… Assez, assez, Sonia, assez ! laisse-moi, s’écria-t-il tout à coup d’une voix déchirante, laisse-moi !
Raskolnikoff s’accouda sur ses genoux et pressa convulsivement sa tête dans ses mains.
— Quelle souffrance ! gémit Sonia.
— Eh bien, que faire maintenant ? dis-le-moi, demanda-t-il en relevant soudain la tête.
Ses traits étaient affreusement décomposés.
— Que faire ! s’écria la jeune fille ; elle s’élança vers lui, et ses yeux, jusqu’alors pleins de larmes, s’allumèrent tout à coup. Lève-toi ! (Ce disant, elle saisit Raskolnikoff par l’épaule ; il se souleva un peu et regarda Sonia d’un air surpris.) Va tout de suite, à l’instant même, au prochain carrefour, prosterne-toi et baise la terre que tu as souillée, ensuite incline-toi de chaque côté en disant tout haut à tout le monde : « J’ai tué ! » Alors, Dieu te rendra la vie.