encore à quoi elle tendait. Je le vois maintenant, je n’ai qu’un désir, c’est que tu ne me quittes pas. Tu ne me quitteras pas, Sonia ?
Elle lui serra la main.
— Et pourquoi, pourquoi lui ai-je dit cela ? Pourquoi lui ai-je fait cet aveu ? s’écria-t-il au bout d’une minute ; il la regardait avec une infinie compassion, et sa voix exprimait le plus profond désespoir ; tu attends de moi des explications, Sonia, je le vois, mais que te dirais-je ? Tu n’y comprendrais rien, et je ne ferais que t’affliger encore ! Allons, voilà que tu pleures, tu recommences à m’embrasser. Pourquoi m’embrasses-tu ? Parce que, faute de courage pour porter mon fardeau, je m’en suis déchargé sur un autre, parce que j’ai cherché dans la souffrance d’autrui un adoucissement à ma peine ? Et tu peux aimer un pareil lâche ?
— Mais est-ce que tu ne souffres pas aussi ? s’écria Sonia.
Il eut, durant une seconde, un nouvel accès de sensibilité.
— Sonia, j’ai le cœur mauvais, fais-y attention : cela peut expliquer bien des choses. C’est parce que je suis méchant que je suis venu. Il y a des gens qui ne l’auraient pas fait. Mais je suis lâche et… infâme. Pourquoi suis-je venu ? Jamais je ne me pardonnerai cela !
— Non, non, tu as bien fait de venir ! s’écria Sonia ; il vaut mieux que je sache tout, beaucoup mieux !
Raskolnikoff la regarda douloureusement.
— J’ai voulu devenir un Napoléon : voilà pourquoi j’ai tué. Eh bien, tu t’expliques la chose maintenant ?
— Non, répondit naïvement Sonia d’une voix timide, mais parle, parle… Je comprendrai, je comprendrai tout !
— Tu comprendras ? Allons, c’est bien, nous verrons !
Pendant quelque temps Raskolnikoff recueillit ses idées.
— Le fait est que je me suis un jour posé cette question : Si Napoléon, par exemple, avait été à ma place, s’il n’avait eu, pour commencer sa carrière, ni Toulon, ni l’Égypte, ni