— Non, il n’y a pas maintenant sur la terre un homme plus malheureux que toi ! s’écria-t-elle dans un élan de pitié, et tout à coup elle éclata en sanglots.
Raskolnikoff sentait son âme s’amollir sous l’influence d’un sentiment que, depuis longtemps déjà, il ne connaissait plus. Il n’essaya pas de lutter contre cette impression : deux larmes jaillirent de ses yeux et se suspendirent à ses cils.
— Ainsi, tu ne m’abandonneras pas, Sonia ? fit-il avec un regard presque suppliant.
— Non, non ; jamais, nulle part ! s’écria-t-elle, je te suivrai, je te suivrai partout ! Oh ! Seigneur !… oh ! malheureuse que je suis !… Et pourquoi, pourquoi ne t’ai-je pas connu plus tôt ? Pourquoi n’es-tu pas venu auparavant ? Oh ! Seigneur !
— Tu vois bien que je suis venu.
— Maintenant ! Oh ! que faire maintenant ?… Ensemble, ensemble ! répéta-t-elle avec une sorte d’exaltation, et elle se remit à embrasser le jeune homme. J’irai avec toi aux galères !
Ces derniers mots causèrent à Raskolnikoff une sensation pénible ; un sourire amer et presque hautain parut sur ses lèvres :
— Je n’ai peut-être pas encore envie d’aller aux galères, Sonia, dit-il.
Sonia tourna rapidement ses yeux vers lui.
Jusqu’alors elle n’avait éprouvé qu’une immense pitié pour un homme malheureux. Cette parole et le ton dont elle fut prononcée rappelèrent brusquement à la jeune fille que ce malheureux était un assassin. Elle jeta sur lui un regard étonné. Elle ne savait encore ni comment, ni pourquoi il était devenu criminel. En ce moment, toutes ces questions se présentaient à son esprit, et de nouveau elle se prit à douter : « Lui, lui, un meurtrier ! mais est-ce que c’est possible ? »