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L’accident survenu à Amalia Ivanovna avait causé une hilarité générale, mais la logeuse prit très-mal la chose et tourna sa colère contre Catherine Ivanovna, qui, vaincue par la souffrance, avait dû se coucher sur son lit :

— Allez-vous-en d’ici ! Tout de suite ! En avant, marche !

Tandis qu’elle prononçait ces mots d’une voix irritée, madame Lippevechzel saisissait tous les objets appartenant à sa locataire et les jetait en tas sur le plancher. Brisée, presque défaillante, la pauvre Catherine Ivanovna sauta à bas de son lit et s’élança sur Amalia Ivanovna. Mais la lutte était trop inégale ; la logeuse n’eut aucune peine à repousser cet assaut.

— Comment ! ce n’est pas assez d’avoir calomnié Sonia, cette créature s’en prend maintenant à moi ! Quoi ! le jour de l’enterrement de mon mari on m’expulse, après avoir reçu mon hospitalité, on me jette dans la rue avec mes enfants ! Mais où irai-je ? sanglotait la malheureuse femme. Seigneur ! s’écria-t-elle tout à coup, en roulant des yeux étincelants, se peut-il donc qu’il n’y ait pas de justice ? Qui défendras-tu, si tu ne nous défends, nous qui sommes orphelins ? Mais nous verrons ! Il y a sur la terre des juges et des tribunaux, je m’adresserai à eux ! Attends un peu, créature impie ! Poletchka, reste avec les enfants, je vais revenir. Si l’on vous met à la porte, attendez-moi dans la rue ! Nous verrons s’il y a une justice dans ce monde !

Catherine Ivanovna mit sur sa tête ce même mouchoir vert en « drap de dame » dont il avait été question dans le récit de Marméladoff ; puis elle fendit la foule avinée et bruyante des locataires qui continuaient à encombrer la chambre et, le visage inondé de larmes, descendit dans la rue avec la résolution d’aller, coûte que coûte, chercher justice quelque part. Poletchka, épouvantée, serra contre elle son petit frère et sa petite sœur ; les trois enfants, blottis dans le coin près du coffre, attendirent en tremblant le retour de leur mère.