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voix éteinte exprimaient une souffrance si poignante qu’il était difficile de n’en être pas touché. Pierre Pétrovitch revint aussitôt à des sentiments plus doux :

— Madame ! madame ! fit-il avec solennité, — cette affaire ne vous concerne en rien ! Personne ne songe à vous accuser de complicité ; d’ailleurs, c’est vous-même qui en retournant les poches avez fait découvrir l’objet volé : cela suffit pour établir votre complète innocence. Je suis tout disposé à me montrer indulgent pour un acte auquel la misère a pu porter Sophie Séménovna, mais pourquoi donc, mademoiselle, ne vouliez-vous pas avouer ? Vous craigniez le déshonneur ? C’était votre premier pas ? Peut-être aviez-vous perdu la tête ? La chose se comprend, elle se comprend très-bien… Voyez pourtant à quoi vous vous exposiez ! Messieurs ! dit-il aux assistants, mu par un sentiment de pitié, je suis prêt à pardonner maintenant encore, malgré les injures personnelles qui m’ont été adressées. Puis il ajouta, en se tournant de nouveau vers Sonia : Mademoiselle, que l’humiliation d’aujourd’hui vous serve de leçon pour l’avenir ; je ne donnerai aucune suite à cette affaire, les choses en resteront là. Cela suffit.

Pierre Pétrovitch jeta un regard en dessous à Raskolnikoff. Leurs yeux se rencontrèrent, ceux du jeune homme lançaient des flammes. Quant à Catherine Ivanovna, elle semblait n’avoir rien entendu et continuait à embrasser Sonia avec une sorte de frénésie. À l’exemple de leur mère, les enfants serraient la jeune fille dans leurs petits bras ; Poletchka, sans comprendre de quoi il était question, sanglotait à fendre l’âme ; son joli visage, tout en larmes, était appuyé sur l’épaule de Sonia. Tout à coup sur le seuil retentit une voix sonore :

— Que cela est bas !

Pierre Pétrovitch se retourna vivement.

— Quelle bassesse ! répéta Lébéziatnikoff, en regardant fixement Loujine.