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ses poches et, gonflant ses joues, se mit à imiter le bruit d’un soufflet de forge. Ce fut un rire général parmi tous les locataires, qui, dans l’espoir d’une bataille entre les deux femmes, se plaisaient à exciter Amalia Ivanovna. Catherine Ivanovna, perdant alors toute mesure, déclara à très-haute voix que peut-être Amalia Ivanovna n’avait jamais eu de vater, que c’était tout simplement une Finnoise de Pétersbourg qui avait dû être jadis cuisinière ou même quelque chose de pire. Riposte furieuse d’Amalia Ivanovna : c’était peut-être Catherine Ivanovna elle-même qui n’avait pas eu de vater ; quant à elle, son vater était un Berlinois qui portait de longues redingotes et faisait toujours : Pouff ! pouff ! Catherine Ivanovna répondit d’un ton méprisant que sa naissance était connue de tout le monde, et que cette même attestation honorifique, en caractères imprimés, la désignait comme fille d’un colonel, tandis qu’Amalia Ivanovna (à supposer qu’elle eût un père) devait avoir reçu le jour de quelque marchand de lait finnois ; mais, selon toute apparence, elle n’avait pas de père du tout, attendu qu’on ne savait pas encore quel était son nom patronymique, si elle s’appelait Amalia Ivanovna ou Amalia Ludwigovna. La logeuse, hors d’elle-même, s’écria en frappant du poing sur la table qu’elle était Ivanovna et non Ludwigovna, que son vater s’appelait Iohann et qu’il était bailli, ce que n’avait jamais été le vater de Catherine Ivanovna. Celle-ci se leva aussitôt, et d’une voix calme que démentaient la pâleur de son visage et l’agitation de son sein :

— Si vous osez encore une fois, dit-elle, mettre votre misérable vater en parallèle avec mon papa, je vous arrache votre bonnet et je le foule aux pieds.

À ces mots, Amalia Ivanovna commença à courir dans la chambre en criant de toutes ses forces qu’elle était la propriétaire, et que Catherine Ivanovna s’en irait de chez elle à l’instant même ; puis elle se hâta d’enlever les couverts d’ar-