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respectable que Pierre Pétrovitch eût été fort dépaysé au milieu d’une société si « extraordinaire » ; elle comprenait donc qu’il ne fût point venu, malgré les vieux liens d’amitié qui l’unissaient à sa famille.

— Voilà pourquoi, Rodion Romanovitch, je vous sais un gré tout particulier de n’avoir pas dédaigné mon hospitalité, même offerte dans de pareilles conditions, ajouta-t-elle presque à haute voix ; du reste, j’en suis convaincue, c’est seulement votre amitié pour mon pauvre défunt qui vous a décidé à tenir votre parole.

Puis, Catherine Ivanovna se remit à plaisanter sur le compte de ses hôtes. Tout à coup, s’adressant avec une sollicitude particulière au vieillard sourd, elle lui cria d’un bout de la table à l’autre : « Voulez-vous encore du rôti ? Vous a-t-on donné du porto ? » Le convive ainsi interpellé ne répondit pas et fut longtemps sans comprendre ce qu’on lui demandait, bien que ses voisins essayassent en riant de le lui expliquer. Il regardait autour de lui et restait bouche béante, ce qui ajouta encore à l’hilarité générale.

— Quel butor ! Regardez ! Et pourquoi l’a-t-on invité ? dit Catherine Ivanovna à Raskolnikoff ; quant à Pierre Pétrovitch, j’ai toujours compté sur lui ; certes, poursuivit-elle en s’adressant à Amalia Ivanovna avec un regard sévère qui intimida la logeuse, certes, il ne ressemble pas à vos chipies endimanchées ; celles-là, papa n’en aurait pas voulu pour cuisinières, et si mon défunt mari leur avait fait l’honneur de les recevoir, ce n’eût été que par suite de son excessive bonté.

— Oui, il aimait à boire, il avait un faible pour la bouteille ! cria soudain l’ancien employé aux subsistances, comme il vidait son douzième verre d’eau-de-vie.

Catherine Ivanovna releva vertement cette parole inconvenante.

— En effet, mon défunt mari avait ce défaut, tout le