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si peu exacte ! Rodion Romanovitch, laissez-la se placer à côté de vous. Voilà ta place, Sonia… prends ce que tu veux. Je te recommande le caviar, il est bon. On va t’apporter les blines. Mais en a-t-on donné aux enfants ? Poletchka, on ne vous oublie pas là-bas ? Allons, c’est bien. Sois sage, Léna, et toi, Kolia, n’agite pas ainsi tes jambes ; tiens-toi comme doit se tenir un enfant de bonne famille. Qu’est-ce que tu dis, Sonetchka ?

Sonia se hâta de transmettre à sa belle-mère les excuses de Pierre Pétrovitch, en s’efforçant de parler haut pour que tous pussent l’entendre. Non contente de reproduire les formules polies dont Loujine s’était servi, elle fit exprès de les amplifier encore. Pierre Pétrovitch, ajouta-t-elle, l’avait chargée de dire à Catherine Ivanovna qu’il viendrait la voir aussitôt que possible pour causer d’affaires et s’entendre avec elle sur la marche à suivre ultérieurement, etc., etc.

Sonia savait que cela tranquilliserait Catherine Ivanovna et surtout que son amour-propre y trouverait une satisfaction. La jeune fille s’assit à côté de Raskolnikoff qu’elle salua à la hâte en lui jetant un regard rapide et curieux. Mais, pendant le reste du dîner, elle parut éviter de le regarder et de lui adresser la parole. Elle semblait même distraite, bien qu’elle tînt les yeux, fixes sur le visage de Catherine Ivanovna pour deviner les désirs de sa belle-mère.

Faute de vêtements, aucune des deux femmes n’était en deuil. Sonia portait un costume cannelle foncée ; la veuve avait mis une robe d’indienne de couleur sombre, la seule qu’elle possédât. Les excuses de Pierre Pétrovitch furent très-bien accueillies.

Après avoir écouté d’un air gourmé le récit de Sonia, Catherine Ivanovna prit un ton important pour s’informer de la santé de Pierre Pétrovitch. Ensuite, sans trop s’inquiéter des autres invités qui pouvaient l’entendre, elle fit observer à Raskolnikoff qu’un homme aussi considéré et aussi