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voulut pas manifester sur l’heure ses sentiments, mais elle se promit de remettre à sa place aujourd’hui même cette impertinente.

Une autre circonstance contribua encore à irriter la veuve : à l’exception du Polonais qui alla jusqu’au cimetière, presque aucun des locataires invités à assister à l’enterrement ne s’y rendit ; en revanche, quand il s’agit de se mettre à table, on vit arriver tout ce qu’il y avait de plus pauvre et de moins recommandable parmi les habitants de la maison ; quelques-uns se présentèrent même dans une tenue plus que négligée. Les locataires un peu propres semblaient s’être donné le mot pour ne pas venir, à commencer par Pierre Pétrovitch Loujine, le plus comme il faut d’entre eux. Cependant, la veille au soir, Catherine Ivanovna avait dit merveilles de lui à tout le monde, c’est-à-dire à madame Lippevechzel, à Poletchka, à Sonia et au Polonais : c’était, assurait-elle, un homme très-noble et très-magnanime, avec cela puissamment riche et possédant des relations superbes ; d’après elle, il avait été l’ami de son premier mari, il fréquentait autrefois chez son père et il avait promis d’user de tout son crédit pour lui obtenir une pension importante. Notons à ce propos que, quand Catherine Ivanovna vantait la fortune et les relations de quelqu’une de ses connaissances, elle le faisait toujours sans calcul d’intérêt personnel et seulement pour rehausser le prestige de celui qu’elle louait.

Après Loujine et, probablement, « à son exemple », s’abstint aussi de paraître « ce polisson de Lébéziatnikoff ». Quelle idée celui-là se faisait-il donc de lui-même ? Catherine Ivanovna avait été bien bonne de l’inviter, et encore s’y était-elle décidée uniquement parce que Pierre Pétrovitch et lui habitaient ensemble : du moment qu’on faisait une politesse à l’un, il fallait la faire à l’autre. On remarqua également l’absence d’une femme du monde et de sa fille