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qui dégrade également les deux époux. Quand les cornes se dressent ouvertement sur votre front, comme dans le mariage libre, alors elles n’existent plus, elles cessent d’avoir un sens et même de porter le nom de cornes. Au contraire, votre femme vous prouve par là qu’elle vous estime, puisqu’elle vous croit incapable de mettre obstacle à son bonheur, et trop éclairé pour vouloir tirer vengeance d’un rival. Vraiment, je pense parfois que si j’étais marié (librement ou légitimement, peu importe), et que ma femme tardât à prendre un amant, je lui en procurerais un moi-même. « Ma chère, lui dirais-je, je t’aime, mais je tiens surtout à ce que tu m’estimes, — voilà ! » Est-ce que je n’ai pas raison ?

Ces paroles firent à peine rire Pierre Pétrovitch ; sa pensée était ailleurs, et il se frottait les mains d’un air soucieux. André Séménovitch se rappela plus tard la préoccupation de son ami…

II

Il serait difficile de dire au juste comment l’idée de ce repas insensé prit naissance dans la cervelle détraquée de Catherine Ivanovna. Elle dépensa, de fait, pour le dîner en question, plus de la moitié de l’argent qu’elle avait reçu de Raskolnikoff pour les obsèques de Marméladoff. Peut-être Catherine Ivanovna se croyait-elle tenue d’honorer « convenablement » la mémoire de son mari, pour prouver à tous les locataires, et en particulier à Amalia Ivanovna, que le défunt « valait autant qu’eux, si pas plus ». Peut-être obéissait-elle à cette fierté des pauvres qui, dans certaines circonstances de la vie : baptême, mariage, enterrement, etc., pousse les malheureux à sacrifier leurs dernières ressources,