— Vous me cherchez chicane parce que vous êtes de mauvaise humeur, mais cela ne signifie rien et n’a aucun rapport avec la question des femmes. Je m’étais même fait ce raisonnement : S’il est admis que la femme est l’égale de l’homme en tout, même en force (ce que l’on commence déjà à soutenir), alors l’égalité doit exister ici aussi. Naturellement j’ai réfléchi ensuite qu’au fond il n’y avait pas lieu de poser la question, car il ne doit pas y avoir de voies de fait dans la société future où les occasions de querelles seront impossibles… par conséquent, il est absurde de chercher l’égalité dans la lutte. Je ne suis pas si bête… quoique, du reste, il y ait des querelles… c’est-à-dire que plus tard il n’y en aura plus, mais pour le moment il y en a encore… Ah, diable ! avec vous on s’embrouille ! Ce n’est pas cette affaire qui m’empêche d’accepter l’invitation de Catherine Ivanovna. Si je ne vais pas dîner chez elle, c’est simplement par principe, pour ne pas sanctionner par ma présence l’idiote coutume des repas d’enterrement, voilà pourquoi ! Du reste, je pourrais y aller pour m’en moquer… Malheureusement il n’y aura pas de popes ; s’il devait y en avoir, j’irais à coup sûr.
— C’est-à-dire que vous iriez vous asseoir à sa table pour cracher sur elle et sur son hospitalité, n’est-ce pas ?
— Non pas pour cracher, mais pour protester, et cela dans un but utile. Je puis indirectement aider à la propagande civilisatrice qui est le devoir de tout homme. Peut-être remplit-on cette tâche d’autant mieux qu’on y met moins de formes. Je puis semer l’idée, le grain… De ce grain naîtra un fait. Est-ce blesser les gens que d’agir ainsi ? D’abord, ils se froissent, mais ensuite ils comprennent eux-mêmes qu’on leur a rendu service…
— Allons, soit ! interrompit Pierre Pétrovitch, — mais dites-moi donc : vous connaissez la fille du défunt, cette petite maigrichonne…, est-ce vrai, ce qu’on dit d’elle, hein ?