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Pierre Pétrovitch remarqua cette raillerie muette et la porta au compte de son jeune ami, compte qui était passablement chargé depuis quelque temps. Sa colère redoubla lorsqu’il eut réfléchi qu’il n’aurait pas dû parler de cette histoire à André Séménovitch. C’était la seconde sottise que l’emportement lui avait fait commettre hier soir : il avait cédé au besoin d’épancher le trop plein de son irritation.

Durant toute cette matinée, la malchance s’ingénia à persécuter Loujine. Au Sénat même, l’affaire dont il s’occupait lui réservait un déboire. Ce qui le vexait surtout, c’était de ne pouvoir faire entendre raison au propriétaire du logement qu’il avait arrêté en vue de son prochain mariage. Cet individu, Allemand d’origine, était un ancien ouvrier à qui la fortune avait souri. Il n’acceptait aucune transaction et réclamait le payement entier du dédit stipulé dans le contrat, bien que Pierre Pétrovitch lui rendît l’appartement presque remis à neuf.

Le tapissier ne se montrait pas moins roide. Il prétendait garder jusqu’au dernier rouble des arrhes qu’il avait touchées sur la vente d’un mobilier dont Pierre Pétrovitch n’avait pas encore pris livraison. « Va-t-il falloir que je me marie exprès pour mes meubles ? » se disait en grinçant des dents le malheureux homme d’affaires. En même temps un dernier espoir traversait son âme : « Est-il possible que le mal soit sans remède ? N’y a-t-il plus rien à tenter ? » Le souvenir des charmes de Dounetchka s’était enfoncé dans son cœur comme une épine. Ce fut pour lui un dur moment à passer, et sans doute, s’il avait pu, par un simple désir, faire mourir Raskolnikoff, Pierre Pétrovitch l’eût tué immédiatement.

« Une autre sottise de ma part a été de ne pas leur donner d’argent », pensait-il tandis qu’il regagnait tristement la chambrette de Lébéziatnikoff ; « pourquoi, diable, ai-je été si juif ? C’était un mauvais calcul !… En les laissant momenta-