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hasard ce morceau de bois dans une cour dépendant d’un atelier de menuiserie. Il y joignit une petite plaque de fer, mince et polie, mais de dimensions moindres, qu’il avait aussi ramassée dans la rue. Après avoir croisé l’une contre l’autre l’éclisse et la plaque de fer, il les attacha solidement ensemble à l’aide d’un fil, puis il enveloppa le tout dans un morceau de papier blanc.

Ce petit paquet, auquel il avait tâché de donner un aspect aussi élégant que possible, fut ensuite lié de telle sorte que le nœud fut assez difficile à défaire. C’était un moyen d’occuper momentanément l’attention de la vieille : pendant qu’elle s’escrimerait sur le nœud, le visiteur pourrait saisir l’instant propice. La plaque de fer avait été ajoutée pour donner plus de poids au prétendu gage, afin que, dans le premier moment du moins, l’usurière ne se doutât pas qu’on lui apportait un simple morceau de bois. Raskolnikoff venait à peine de mettre l’objet dans sa poche qu’il entendit soudain quelqu’un crier du dehors :

— Six heures sont sonnées depuis longtemps !

— Depuis longtemps ! mon Dieu !

Il s’élança vers la porte, prêta l’oreille et se mit à descendre ses trente marches, sans faire plus de bruit qu’un chat. Restait le plus important : aller prendre la hache qui se trouvait dans la cuisine. Depuis longtemps il avait décidé qu’il devait se servir d’une hache. Il avait bien chez lui une sorte de sécateur, mais cet instrument ne lui inspirait aucune confiance, et surtout il se défiait de ses forces ; ce fut donc sur la hache que son choix se porta définitivement. Notons, à ce propos, une particularité singulière : à mesure que ses résolutions prenaient un caractère déterminé, il en sentait de plus en plus l’absurdité et l’horreur. Malgré la lutte affreuse qui se livrait au dedans de lui, jamais il ne pouvait admettre un seul instant qu’il en viendrait à exécuter ses projets.