Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

connaissance, Pokorieff, sur le point de se rendre à Kharkoff, lui avait donné, en causant, l’adresse de la vieille Aléna Ivanovna, pour le cas où il aurait besoin de faire un emprunt. Il fut longtemps sans aller chez elle, parce que le produit de ses leçons lui permettait de vivoter. Six semaines avant les événements que nous racontons, il se ressouvint de l’adresse ; il possédait deux objets sur lesquels on pouvait lui prêter quelque chose : une vieille montre en argent qui lui venait de son père, et un petit anneau d’or, orné de trois petites pierres rouges, que sa sœur lui avait donné comme souvenir au moment où ils s’étaient quittés.

Raskolnikoff se décida à porter la bague chez Aléna Ivanovna. À première vue, et avant qu’il sût rien de particulier sur son compte, cette vieille femme lui inspira une violente aversion. Après avoir reçu d’elle deux « petits billets », il entra dans un mauvais traktir qu’il rencontra sur son chemin. Là, il demanda du thé, s’assit et se mit à réfléchir. Une idée étrange, encore à l’état embryonnaire dans son esprit, l’occupait exclusivement.

À une table voisine de la sienne, un étudiant qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais vu était assis avec un officier. Les deux jeunes gens venaient de jouer au billard, et ils étaient maintenant en train de boire du thé. Tout à coup Raskolnikoff entendit l’étudiant donner à l’officier l’adresse d’Aléna Ivanovna, veuve d’un secrétaire de collège et prêteuse sur gages. Cela seul parut déjà quelque peu étrange à notre héros : on parlait d’une personne chez qui justement il s’était rendu peu d’instants auparavant. Sans doute ; c’était un pur hasard, mais en ce moment il luttait contre une impression dont il ne pouvait triompher, et voici que, comme à point nommé, quelqu’un venait fortifier en lui cette impression ; l’étudiant communiquait, en effet, à son ami divers détails sur Aléna Ivanovna.

— C’est une fameuse ressource, disait-il, il y a toujours