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logement. Il rentra chez lui, comme s’il avait été condamné à mort. Il ne pensa à rien et, du reste, ne pouvait pas penser : il sentit subitement dans tout son être qu’il n’avait plus ni volonté, ni libre arbitre, et que tout était définitivement décidé.

Certes, il aurait pu attendre des années entières une occasion favorable, essayer même de la faire naître, sans en trouver une aussi propice que celle qui venait d’elle-même s’offrir à lui. En tout cas, il lui aurait été difficile de savoir la veille, de science certaine, et cela sans courir le moindre risque, sans se compromettre par des questions dangereuses, — que demain, à telle heure, telle vieille femme, qu’il voulait tuer, serait toute seule chez elle.

VI

Raskolnikoff apprit plus tard pourquoi le marchand et la marchande avaient invité Élisabeth à venir chez eux. L’affaire était fort simple. Une famille étrangère se trouvant dans la gêne voulait se défaire d’effets qui consistaient surtout en vêtements et linges à l’usage des femmes. Ces gens cherchaient donc à se mettre en rapport avec une revendeuse à la toilette ; or, Élisabeth exerçait ce métier. Elle avait une nombreuse clientèle parce qu’elle était fort honnête et disait toujours le dernier prix : avec elle, il n’y avait pas à marchander. En général, elle parlait peu ; comme nous l’avons déjà dit, elle était fort douce et fort craintive…

Mais, depuis quelque temps, Raskolnikoff était devenu superstitieux, et, par la suite, quand il réfléchissait à toute cette affaire, il inclinait toujours à y voir l’action de causes étranges et mystérieuses. L’hiver dernier, un étudiant de sa