Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dire, il s’ouvrait plus volontiers à lui qu’à tout autre. Il est vrai que la nature franche et primesautière de Razoumikhine appelait irrésistiblement la confiance. Ce jeune homme était extrêmement gai, expansif et bon jusqu’à la naïveté. Cela, d’ailleurs, n’excluait pas chez lui des qualités sérieuses. Les plus intelligents de ses camarades reconnaissaient son mérite, et tous l’aimaient. Il était loin d’être bête, quoiqu’il fût parfois un peu simple. Ses cheveux noirs, son visage toujours mal rasé, sa haute taille et sa maigreur attiraient à première vue l’attention.

Mauvaise tête à ses heures, il passait pour un Hercule. Une nuit qu’il courait les rues de Pétersbourg en compagnie de quelques amis, il avait terrassé d’un seul coup de poing un sergent de ville dont la taille mesurait deux archines et douze verchoks[1]. Il pouvait se livrer aux plus grands excès de boisson, comme il savait observer, à l’occasion, la sobriété la plus stricte. S’il lui arrivait parfois de commettre d’inexcusables fredaines, en d’autres temps il se montrait d’une sagesse exemplaire. Ce qu’il y avait encore de remarquable chez Razoumikhine, c’est que le découragement n’avait point de prise sur lui, et que jamais il ne se laissait abattre par aucun revers. Il eût logé sur un toit, enduré les pires horreurs du froid et de la faim sans se départir un instant de sa bonne humeur accoutumée. Très-pauvre, réduit à se tirer d’affaire tout seul, il trouvait moyen de gagner sa vie tant bien que mal, car c’était un garçon débrouillard, et il connaissait une foule d’endroits où il lui était toujours possible de se procurer de l’argent, en travaillant, bien entendu.

On l’avait vu passer tout un hiver sans feu ; il assurait que cela lui était plus agréable, parce qu’on dort mieux quand on a froid. En ce moment, il avait dû, lui aussi,

  1. Environ 1m 88.