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dix-huit ou dix-neuf ans, elle sera impotente. Combien j’en ai vu finir ainsi qui ont commencé comme celle-ci commence ! Mais bah ! c’est nécessaire, dit-on ; c’est un tant pour cent annuel, une prime d’assurance qui doit être payée… au diable, sans doute… pour garantir le repos des autres. Un tant pour cent ! Ils ont vraiment de jolis petits mots, cela vous a une tournure scientifique qui fait bien. Quand on a dit : tant pour cent, c’est fini, il n’y a plus à s’inquiéter. Si la chose était appelée d’un autre nom, on s’en préoccuperait peut-être davantage… Et, qui sait ? Dounetchka ne peut-elle pas être comprise dans le tant pour cent de l’année prochaine, sinon dans celui de cette année ?…

« Mais où vais-je donc ? pensa-t-il soudain. C’est étrange. J’avais pourtant un but en sortant de chez moi. À peine la lettre lue, je suis parti… Ah ! oui, à présent, je me rappelle : c’était chez Razoumikhine, dans Vasili Ostroff, que je voulais me rendre. Mais pourquoi donc ? Comment ai-je pu avoir l’idée de faire visite à Razoumikhine ? Voilà qui est curieux ! »

Il ne se comprenait pas lui-même. Razoumikhine était un de ses anciens camarades d’Université. Chose à noter, lorsque Raskolnikoff suivait les cours de l’école de droit, il vivait fort isolé, n’allait chez aucun de ses condisciples et n’aimait pas à recevoir leur visite. Ceux-ci, du reste, ne tardèrent pas à lui rendre la pareille. Jamais il ne prenait part ni aux réunions ni aux plaisirs des étudiants. On l’estimait à cause de son ardeur au travail, mais personne ne l’aimait. Il était très-pauvre, très-fier et très-concentré en lui-même ; sa vie semblait cacher quelque secret. Ses camarades trouvaient qu’il avait l’air de les regarder avec dédain, comme s’ils eussent été des enfants, ou, du moins, des êtres fort inférieurs à lui sous le rapport du savoir, des idées et du développement intellectuel.

Cependant il s’était lié avec Razoumikhine, ou, pour mieux