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roubles et non vingt-cinq que je vais avoir le plaisir de t’envoyer.

« Maintenant, mon très-cher Rodia, je t’embrasse en attendant notre prochaine réunion, et je t’envoie ma bénédiction maternelle. Aime Dounia, ta sœur, Rodia ; sache qu’elle t’aime infiniment plus qu’elle-même, et paye-la de retour. C’est un ange, et toi, Rodia, tu es tout pour nous, — tout notre espoir, tout notre futur bonheur. Pourvu que tu sois heureux, nous le serons aussi. Adieu ! ou plutôt au revoir ! Je t’embrasse mille fois.

« À toi jusqu’au tombeau.
« Pulchérie Raskolnikoff. »

Les larmes mouillèrent souvent les yeux du jeune homme pendant la lecture de cette lettre ; mais, lorsqu’il l’eut terminée, un sourire fielleux se montra sur son visage pâle et convulsé. Appuyant la tête sur son coussin nauséabond et malpropre, il resta longtemps pensif. Son cœur battait avec force, et le trouble régnait dans ses idées. À la fin, il se sentit à l’étroit, comme étouffé dans cette petite chambre jaune qui ressemblait à une armoire ou à une malle. Son être physique et moral avait besoin d’espace.

Il prit son chapeau et sortit, sans craindre cette fois de rencontrer qui que ce fût dans l’escalier. Il ne songeait plus à la logeuse. Il se dirigea vers Vasili Ostroff par la perspective V. Sa marche était rapide comme celle de quelqu’un qui se rend à une besogne pressée ; mais, selon son habitude, il ne remarquait rien sur la route, marmottait à part soi et même monologuait tout haut, ce qui étonnait fort les passants. Beaucoup le prenaient pour un homme ivre.