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d’avoir pris cette décision sans te consulter, quand tu sauras que l’affaire ne souffrait pas de remise et qu’il nous était impossible d’attendre, pour donner notre réponse, que nous eussions reçu la tienne. D’ailleurs, n’étant pas sur les lieux, tu n’aurais pu juger en connaissance de cause.

« Voici comment les choses se sont passées. Le futur, Pierre Pétrovitch Loujine, est un conseiller de cour, parent éloigné de Marfa Pétrovna, qui a agi puissamment dans cette circonstance. C’est elle qui l’a introduit chez nous. Il a été convenablement reçu, a pris du café et, le lendemain même, nous a adressé une lettre très-polie, dans laquelle il faisait sa demande, en sollicitant une réponse prompte et catégorique. Ce monsieur est un homme d’affaires fort occupé ; il est à la veille de se rendre à Pétersbourg, de sorte qu’il n’a pas une minute à perdre.

« Naturellement, nous sommes restées tout d’abord stupéfaites, tant nous nous attendions peu à une mise en demeure si brusque. Ta sœur et moi nous avons examiné la question ensemble durant toute la journée. Pierre Pétrovitch est dans une belle position ; il sert en deux endroits et possède déjà de la fortune. À la vérité, il a quarante-cinq ans, mais son extérieur est assez agréable, et il peut encore plaire aux femmes. C’est un homme très-posé et très-convenable, je le trouve seulement un peu froid et hautain ; toutefois, les apparences peuvent être trompeuses.

« Tu es prévenu, cher Rodia : lorsque tu le verras à Pétersbourg, ce qui ne tardera guère, ne le juge pas trop vite et ne le condamne pas sans appel, comme tu as l’habitude de le faire, si, à première vue, tu te sens peu de sympathie pour lui. Je te dis cela à tout hasard : au fond, je suis persuadée qu’il produira sur toi une impression favorable. Du reste, en général, pour connaître quelqu’un, il faut l’avoir pratiqué longuement et observé avec soin ; sinon, on commet des erreurs d’appréciation qu’il est ensuite très-difficile de rectifier.