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— De qui, je n’en sais rien. J’ai donné de ma poche trois kopecks au facteur. J’ai bien fait, n’est-ce pas ?

— Apporte-la donc, pour l’amour de Dieu ! Apporte-la ! s’écria Raskolnikoff très-agité, — Seigneur !

Une minute après, la lettre était entre ses mains. Il ne s’était pas trompé : elle venait de sa mère et portait le timbre du gouvernement de R… Il ne put s’empêcher de pâlir en la recevant. Depuis longtemps déjà, il était sans nouvelles des siens ; toutefois, en ce moment, autre chose encore lui serra brusquement le cœur.

— Nastasia, va-t’en, de grâce ! voici tes trois kopecks, mais, pour l’amour de Dieu, va-t’en bien vite !

La lettre tremblait dans ses doigts ; il ne voulait pas la décacheter en présence de Nastasia, il attendait pour en commencer la lecture que la servante fût partie. Resté seul, il porta vivement le pli à ses lèvres et le baisa. Puis il se remit à considérer longuement l’adresse ; il reconnut les caractères tracés par une main chérie : c’était l’écriture fine et un peu penchée de sa mère, qui jadis lui avait appris à lire et à écrire. Il hésitait, semblait même éprouver une certaine crainte. À la fin, il rompit le cachet : la lettre était fort longue ; deux grandes feuilles de papier de poste avaient été remplies de chaque côté.

« Mon cher Rodia, écrivait la mère, voilà déjà plus de deux mois que je ne me suis entretenue par lettre avec toi, ce dont j’ai moi-même souffert au point d’en perdre souvent le sommeil. Mais sans doute tu me pardonnes mon silence involontaire. Tu sais comme je t’aime ; Dounia et moi nous n’avons que toi, tu es tout pour nous, tout notre espoir, tout notre bonheur dans l’avenir. Que suis-je devenue quand j’ai appris que tu avais dû depuis plusieurs mois quitter l’Université faute de moyens d’existence, et que tu n’avais plus ni leçons ni ressources d’aucune sorte !

« Comment pouvais-je te venir en aide avec mes cent