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cuivre et, sans être vu, la déposa sur la croisée. Puis, quand il fut dans l’escalier, il se repentit de sa générosité. Peu s’en fallut qu’il ne remontât chez les Marméladoff.

« Allons, quelle sottise j’ai faite ! pensait-il : eux, ils ont Sonia, et moi, je n’ai personne. » Mais il se dit qu’il ne pouvait pas reprendre son argent, et que lors même qu’il le pourrait, il ne le ferait pas. Sur cette réflexion, il se décida à continuer son chemin. « Il faut de la pommade à Sonia, poursuivit-il avec un sourire amer en marchant dans la rue : cette propreté-là coûte de l’argent… Hum ! il paraît que Sonia n’a pas casqué aujourd’hui. Au fait, la chasse à l’homme, c’est comme la chasse à la bête fauve : on risque souvent d’en revenir bredouille… Donc ils seraient demain dans de vilains draps s’ils n’avaient pas mon argent… Ah ! oui, Sonia ! Tout de même, ils ont trouvé là une bonne vache à lait ! Et ils en profitent ! Cela ne leur fait plus rien, ils y sont faits. Ils ont un peu pleurniché d’abord, et puis l’habitude est venue. L’homme est lâche, il s’accoutume à tout ! »

Raskolnikoff devint songeur.

— Eh bien, si j’ai menti, s’écria-t-il ensuite, — si l’homme n’est pas nécessairement lâche, il doit fouler aux pieds toutes les craintes, tous les préjugés qui l’arrêtent !…

III

Il s’éveilla tard le lendemain, après un sommeil agité qui ne lui rendit pas de forces. À son réveil, il se sentit de très-méchante humeur et regarda sa chambre d’un air courroucé. Cette petite pièce, longue de six pas, offrait l’aspect le plus piteux, avec sa tapisserie jaunâtre, poudreuse et délabrée ;