Alexandrovna et Dounia. Dans la chaleur de la discussion, Razoumikhine s’arrêtait à chaque instant au milieu de la rue ; il était fort agité, car c’était la première fois que les deux jeunes gens s’entretenaient de cela autrement qu’à mots couverts.
— Ne le crois pas, si tu veux ! répondit Raskolnikoff avec un sourire froid et indifférent : — toi, selon ton habitude, tu n’as rien remarqué, mais moi, j’ai pesé chaque mot.
— Tu es enclin à la défiance, voilà pourquoi tu découvres partout des arrière-pensées… Hum… en effet, je reconnais que le ton de Porphyre était assez étrange, et c’est surtout ce coquin de Zamétoff… Tu as raison, il y avait en lui un je ne sais quoi… mais comment cela se fait-il, comment ?…
— Il aura changé d’avis depuis hier.
— Non, tu te trompes ! S’ils avaient cette stupide idée, ils auraient, au contraire, pris soin de la dissimuler ; ils auraient caché leur jeu pour t’inspirer une fallacieuse confiance, en attendant le moment de démasquer leurs batteries… Dans l’hypothèse où tu te places, leur façon d’agir aujourd’hui serait aussi maladroite qu’effrontée !
— S’ils avaient des faits, j’entends des faits sérieux, ou des présomptions quelque peu fondées, alors sans doute ils s’efforceraient de cacher leur jeu dans l’espoir d’obtenir de nouveaux avantages sur moi (d’ailleurs, ils auraient fait depuis longtemps une perquisition à mon domicile). Mais ils n’ont pas de preuves, pas une seule ; tout se réduit pour eux à des conjectures gratuites, à des suppositions qui ne s’appuient sur rien de réel, c’est pourquoi ils ont recours à l’effronterie. Peut-être ne faut-il voir en cela que le dépit de Porphyre qui enrage de n’avoir point de preuves. Peut-être aussi a-t-il ses intentions… Il paraît intelligent… Il se peut qu’il ait voulu m’effrayer… Il a sa psychologie à lui, mon ami… Du reste, toutes ces questions sont répugnantes à éclaircir. Laissons cela !