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un malade. C’est un point de vue très-original, mais… ce n’est pas cette partie de votre travail qui m’a le plus intéressé ; j’ai remarqué surtout une pensée qui se trouvait à la fin de l’article et que, par malheur, vous vous êtes contenté d’indiquer d’une façon un peu trop sommaire… En un mot, si vous vous le rappelez, vous donniez à entendre qu’il existe sur la terre des hommes qui peuvent, ou, pour mieux dire, qui ont le droit absolu de commettre toutes sortes d’actions coupables et criminelles ; des hommes pour qui, en quelque sorte, la loi n’est point faite.

À cette perfide interprétation de sa pensée, Raskolnikoff sourit.

— Comment ? Quoi ? Le droit au crime ? N’a-t-il pas plutôt voulu dire que le criminel est poussé au crime par « l’influence irrésistible du milieu » ? demanda Razoumikhine avec une sorte d’inquiétude.

— Non, non, il ne s’agit pas de cela, répondit Porphyre. Dans l’article en question les hommes sont divisés en « ordinaires » et « extraordinaires ». Les premiers doivent vivre dans l’obéissance et n’ont pas le droit de violer la loi, attendu qu’ils sont des hommes ordinaires ; les seconds ont le droit de commettre tous les crimes et de transgresser toutes les lois, par cette raison que ce sont des hommes extraordinaires. C’est bien cela que vous dites, si je ne me trompe ?

— Mais comment ? Il est impossible que ce soit cela ! balbutia Razoumikhine, stupéfait.

Raskolnikoff sourit de nouveau. Il avait compris tout de suite qu’on voulait lui arracher une déclaration de principes, et, se rappelant son article, il n’hésita pas à l’expliquer.

— Ce n’est pas tout à fait cela, commença-t-il d’un ton simple et modeste. J’avoue, du reste, que vous avez reproduit à peu près exactement ma pensée ; si vous voulez, je dirai même, très-exactement… (il prononça ces derniers