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ment d’œil tantôt, ou ai-je été dupe d’une apparence ? C’est absurde, assurément ; pourquoi aurait-il cligné les yeux ? Peut-être veulent-ils m’agacer les nerfs, me pousser à bout ? Ou tout cela est de la fantasmagorie, ou ils savent !…

« Zamétoff même est insolent. Il aura fait ses réflexions depuis hier. Je me doutais bien qu’il changerait d’avis ! Il est ici comme chez lui, et il y vient pour la première fois ! Porphyre ne le considère pas comme un étranger, il s’assied en lui tournant le dos. Ces deux hommes-là sont devenus une paire d’amis, et c’est certainement à mon sujet que leurs relations ont pris naissance ! Je suis sûr qu’ils causaient de moi quand nous sommes arrivés !… Connaissent-ils ma visite à l’appartement de la vieille ? Il me tarde bien de le savoir !… Quand j’ai dit que j’étais sorti pour aller louer un logement, Porphyre n’a pas relevé la chose… Mais j’ai bien fait de dire cela : plus tard, cela pourra servir !… Quant au délire, le juge d’instruction n’a pas l’air de couper là dedans… Il est parfaitement renseigné sur l’emploi de ma soirée ! Il ignorait l’arrivée de ma mère !… Et cette sorcière, qui avait noté au crayon la date de l’engagement !… Non, non, l’assurance que vous affectez ne me trompe pas : jusqu’ici, vous n’avez pas de faits, vous vous fondez sur de vagues conjectures ! Citez-moi donc un fait, si vous pouvez en alléguer un seul contre moi ! Cette visite que j’ai faite chez la vieille ne prouve rien, on peut l’expliquer par le délire ; je me rappelle ce que j’ai dit aux ouvriers et au dvornik… Savent-ils que je suis allé là ? Je ne m’en irai pas avant d’être fixé là-dessus ! Pourquoi suis-je venu ? Mais voilà que je me fâche à présent, c’est cela qui est à craindre ! Ah ! que je suis irritable ! Après tout, peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi : je reste dans mon rôle de malade… Il va me harceler et me faire perdre la tête. Pourquoi suis-je venu ? »

Toutes ces idées traversèrent son esprit avec la rapidité de l’éclair.