Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/302

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cela qu’alors tu… la chose m’avait frappé… vois-tu ? pendant que tu battais la campagne, tu ne parlais que de bagues et de chaînes de montre !… Allons, oui, oui… C’est clair, maintenant tout s’explique.

« Voilà ! cette idée s’est glissée dans leur esprit ! J’en ai maintenant la preuve : cet homme se ferait crucifier pour moi, et il est très-heureux de pouvoir s’expliquer pourquoi je parlais de bagues durant mon délire ! Mon langage a dû les confirmer tous dans leurs soupçons !… »

— Mais le trouverons-nous ? demanda-t-il à haute voix.

— Certainement, nous le trouverons, répondit sans hésiter Razoumikhine. C’est un fameux gaillard, mon ami, tu verras ! Un peu gauche, il est vrai ; je n’entends point dire par là qu’il manque d’usage ; non, c’est à un autre point de vue que je le trouve gauche. Il est loin d’être bête, il est même fort intelligent ; seulement, il a un tour d’esprit particulier… Il est incrédule, sceptique, cynique… il aime à mystifier son monde… Avec cela, fidèle au vieux jeu, c’est-à-dire n’admettant que les preuves matérielles… Mais il sait son métier. L’an dernier, il a débrouillé une affaire de meurtre dans laquelle presque tous les indices faisaient défaut ! Il a le plus grand désir de faire ta connaissance !

— Pourquoi y tient-il tant que cela ?

— Oh ! ce n’est pas que… vois-tu, dans ces derniers temps, pendant que tu étais malade, nous avons eu souvent l’occasion de parler de toi… Il assistait à nos conversations… Quand il a appris que tu étais étudiant en droit et que tu avais été forcé de quitter l’Université, il a dit : « Quel dommage ! » J’en ai conclu… c’est-à-dire que je ne me suis pas fondé là-dessus seulement, mais sur bien d’autres choses. Hier, Zamétoff… Écoute, Rodia : quand je t’ai ramené hier chez toi, j’étais ivre, et je bavardais à tort et à travers ; je crains que tu n’aies pris mes paroles trop au sérieux…

— Qu’est-ce que tu m’as dit ? Qu’ils me considèrent