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la présence de l’inconnu. Parvenue au troisième étage, elle s’engagea dans un couloir et sonna au numéro 9 où on lisait sur la porte ces deux mots écrits à la craie : Kapernaoumoff, tailleur. « Bah ! » répéta l’inconnu surpris de cette coïncidence, et il sonna à côté, au numéro 8. Les deux portes étaient à six pas l’une de l’autre.

— Vous demeurez chez Kapernaoumoff ? dit-il en riant à Sonia. — Il m’a raccommodé hier un gilet. Moi, je loge ici, près de chez vous, dans l’appartement de madame Resslich, Gertrude Karlovna. Comme cela se trouve !

Sonia le regarda avec attention.

— Nous sommes voisins, continua-t-il d’un ton enjoué. — Je ne suis à Pétersbourg que depuis avant-hier. Allons, jusqu’au plaisir de vous revoir !

Sonia ne répondit pas. La porte s’ouvrit, et la jeune fille entra vivement chez elle. Elle se sentait intimidée, honteuse…

Razoumikhine était fort animé, pendant qu’il se rendait chez Porphyre avec son ami.

— C’est parfait, mon cher, répéta-t-il plusieurs fois, — et je suis enchanté, enchanté ! Je ne savais pas que toi aussi tu avais mis quelque chose en gage chez la vieille. Et… et… il y a longtemps de cela ? Je veux dire, il y a longtemps que tu as été chez elle ?

— Quand donc ?… fit Raskolnikoff en ayant l’air d’interroger ses souvenirs : — c’est, je crois, l’avant-veille de sa mort que je suis allé chez elle. Du reste, il ne s’agit pas pour moi de dégager maintenant ces objets, s’empressa-t-il d’ajouter, comme si cette question l’eût vivement préoccupé ; — je me trouve n’avoir plus qu’un rouble… grâce aux folies que j’ai faites hier sous l’influence de ce maudit délire !

Il appuya d’une façon particulière sur le mot « délire ».

— Allons, oui, oui, oui, se hâta de dire Razoumikhine répondant à une pensée qui lui était venue, — ainsi c’est pour