saviez pourtant, maman, quelle idée étrange vous venez d’exprimer ! ajouta-t-il soudain avec un sourire énigmatique.
Raskolnikoff était à peine en état de supporter la présence de cette mère et de cette sœur dont il avait été séparé pendant trois ans, mais avec lesquelles il sentait que tout entretien lui était impossible. Toutefois, il y avait une affaire qui ne souffrait pas de remise ; tantôt en se levant il s’était dit qu’elle devait être décidée aujourd’hui même d’une façon ou d’une autre. En ce moment, il fut heureux de trouver dans cette affaire un moyen de sortir d’embarras.
— Voici ce que j’ai à te dire, Dounia, commença-t-il d’un ton plein de sécheresse, — naturellement je te fais mes excuses pour l’incident d’hier, mais je crois de mon devoir de te rappeler que je maintiens les termes de mon dilemme : ou moi ou Loujine. Je puis être infâme, mais toi, tu ne dois pas l’être. C’est assez d’un. Si donc tu épouses Loujine, je cesse à l’instant de te considérer comme une sœur.
— Rodia ! Rodia ! te voilà encore à parler comme hier ! s’écria Pulchérie Alexandrovna désolée, — pourquoi te traites-tu toujours d’infâme ? Je ne puis supporter cela ! Hier aussi tu tenais ce langage…
— Mon frère, répondit Dounia d’un ton qui ne le cédait ni en sécheresse ni en roideur à celui de Raskolnikoff, — le malentendu qui nous divise provient d’une erreur dans laquelle tu te trouves. J’y ai réfléchi cette nuit, et j’ai découvert en quoi elle consiste. Tu supposes que je me sacrifie pour quelqu’un. Or, c’est là ce qui te trompe. Je me marie tout bonnement pour moi-même, parce que ma situation personnelle est difficile. Sans doute, par la suite, je serai bien aise s’il m’est donné d’être utile à mes proches, mais tel n’est pas le motif principal de ma résolution…
« Elle ment ! pensait à part soi Raskolnikoff, qui, de colère, se rongeait les ongles. — L’orgueilleuse ! Elle ne consent pas à avouer qu’elle veut être ma bienfaitrice ! quelle arrogance !