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— Ah ! mon Dieu, elle dit… Dieu sait ce qu’elle dit, elle ne m’explique pas son but ! Selon elle, il vaut mieux ou plutôt il est absolument indispensable que Rodia vienne ce soir à huit heures et qu’il se rencontre ici avec Pierre Pétrovitch… Moi, je préférerais ne pas lui montrer la lettre et user d’adresse pour l’empêcher de venir, je comptais y réussir avec votre concours… Je ne vois pas non plus de quel ivrogne mort et de quelle fille il peut être question dans ce billet ; je ne puis comprendre qu’il ait donné à cette personne les dernières pièces d’argent… qui…

— Qui représentent pour vous tant de sacrifices, maman, acheva la jeune fille.

— Hier, il n’était pas dans son état normal, dit d’un air pensif Razoumikhine. Si vous saviez à quel passe-temps il s’est livré hier dans un traktir ; du reste, il a fort bien fait, hum ! Il m’a, en effet, parlé hier d’un mort et d’une jeune fille, pendant que je le reconduisais chez lui ; mais je n’ai pas compris un mot… Il est vrai que hier j’étais moi-même…

— Le mieux, maman, c’est d’aller chez lui, et là, je vous assure, nous verrons tout de suite ce qu’il y a à faire. D’ailleurs, il est temps. Seigneur ! dix heures passées ! s’écria Avdotia Romanovna en regardant une superbe montre en or émaillé, qui était suspendue à son cou par une mince chaîne de Venise et qui jurait singulièrement avec l’ensemble de sa toilette.

« C’est un cadeau de son prétendu », pensa Razoumikhine.

— Ah ! il est temps de partir !… Il est grand temps, Dounetchka ! fit Pulchérie Alexandrovna tout effarée. — il va penser que nous lui gardons rancune de son accueil d’hier ; c’est ainsi qu’il s’expliquera notre retard. Ah ! mon Dieu !

Tout en parlant, elle se hâtait de mettre son chapeau et sa mantille. Dounetchka se préparait aussi à sortir. Ses gants étaient non-seulement défraîchis, mais troués, ce que remarqua Razoumikhine ; toutefois, ce costume dont la pauvreté