— Vous croyez, poursuivit la mère avec animation, — qu’il aurait eu égard à mes supplications, à mes larmes, que ma maladie, la crainte de me voir mourir, notre misère l’auraient touché ? Non, il eut le plus tranquillement du monde donné suite à son projet, sans se laisser arrêter par aucune considération. Et pourtant, se peut-il qu’il ne nous aime pas ?
— Lui-même ne m’a jamais rien dit à ce propos, répondit avec réserve Razoumikhine, — mais j’ai eu quelque connaissance de cela par madame Zarnitzine, qui n’est pas non plus très-causeuse, et ce que j’ai appris ne laisse pas d’être assez étrange.
— Eh bien, qu’avez-vous appris ? demandèrent d’une commune voix les deux femmes.
— Oh ! rien de particulièrement intéressant, à vrai dire ! Tout ce que je sais, c’est que ce mariage, qui était déjà une affaire convenue et qui allait avoir lieu quand la future est morte, déplaisait extrêmement à madame Zarnitzine elle-même… D’autre part, on prétend que la jeune fille n’était pas belle, ou, pour mieux dire, qu’elle était laide ; de plus, elle était, dit-on, fort maladive et… bizarre. Cependant il paraît qu’elle avait certaines qualités. Elle devait, à coup sûr, en avoir : autrement ce serait à n’y rien comprendre…
— Je suis convaincue que cette jeune fille avait du mérite, observa laconiquement Avdotia Romanovna.
— Que Dieu me le pardonne, mais je me suis réjouie de sa mort, et pourtant je ne sais auquel des deux ce mariage aurait été le plus funeste, conclut la mère ; puis, timidement, après force hésitations et en jetant sans cesse les yeux sur Dounia, à ce qui ce manège paraissait déplaire beaucoup, elle se mit à interroger de nouveau Razoumikhine sur la scène de la veille entre Rodia et Loujine. Cet incident semblait l’inquiéter par-dessus tout et lui causer une véritable épouvante. Le jeune homme refit le récit détaillé de l’alter-