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honteuses. Razoumikhine pesta énergiquement contre une pareille « boîte », puis, pensant à Loujine, il se tut, perdit contenance et fut fort heureux d’échapper à sa situation embarrassante, grâce aux questions que Pulchérie Alexandrovna fit pleuvoir sur lui dru comme grêle.

Interrogé à chaque instant, il parla pendant trois quarts d’heure et raconta tout ce qu’il savait concernant les principaux faits qui avaient rempli la vie de Rodion Romanovitch depuis une année. Il termina par le récit circonstancié de la maladie de son ami. Comme de juste, d’ailleurs, il passa sous silence ce qu’il fallait taire ; par exemple, la scène du commissariat et ses conséquences. Les deux femmes l’écoutaient avidement, et lorsqu’il crut leur avoir donné tous les détails susceptibles de les intéresser, leur curiosité ne se tint pas encore pour satisfaite.

— Dites-moi, dites-moi, comment pensez-vous… ah ! pardon ! je ne sais pas encore votre nom ? fit vivement Pulchérie Alexandrovna.

— Dmitri Prokofitch.

— Eh bien ! Dmitri Prokotitch, j’aurais grande envie de savoir… comment, en général… il envisage maintenant les choses, ou, pour mieux m’exprimer, ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Est-il toujours si irritable ? Quels sont ses désirs, ses rêves, si vous voulez ? Sous quelle influence particulière se trouve-t-il en ce moment ?

— Que vous dirai-je ? Je connais Rodion depuis dix-huit mois : il est morose, sombre, fier et hautain. Dans ces derniers temps (mais peut-être cette disposition existait-elle chez lui d’ancienne date), il est devenu soupçonneux et hypocondriaque. Il est bon et généreux. Il n’aime pas à révéler ses sentiments, et il lui en coûte moins de blesser les gens que de se montrer expansif. Parfois, du reste, il n’est pas du tout hypocondriaque, mais seulement froid et insensible jusqu’à l’inhumanité. On dirait vraiment qu’il y a en