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— Je ne suis pas un confesseur ; d’ailleurs j’ai autre chose à faire que d’écouter leurs secrets ; je m’en irai aussi.

— Une chose m’inquiète, reprit Razoumikhine en fronçant le sourcil : — hier, j’étais ivre, et, tandis que je reconduisais Rodion ici, je n’ai pas su retenir ma langue : entre autres sottises, je lui ai dit que tu craignais chez lui une prédisposition à la folie…

— Tu as dit la même chose hier aux dames.

— Je sais que j’ai fait une bêtise ! Bats-moi, si tu veux ! Mais, entre nous, sincèrement, quelle est ton opinion sur son compte ?

— Que veux-tu que je te dise ? Toi-même, tu me l’as représenté comme un monomane quand tu m’as amené auprès de lui… Et hier, nous lui avons encore plus troublé l’esprit ; je dis nous, mais c’est toi qui as fait cela avec tes récits à propos du peintre en bâtiments ; voilà une belle conversation à tenir devant un homme dont le dérangement intellectuel vient peut-être de cette affaire ! Si j’avais connu alors dans tous ses détails la scène qui s’est passée au bureau de police, si j’avais su qu’il s’était vu là en butte aux soupçons d’une canaille, je t’aurais arrêté hier au premier mot. Ces monomanes font un océan d’une goutte d’eau, les billevesées de leur imagination leur apparaissent comme des réalités… La moitié de la chose m’est expliquée maintenant par ce que Zamétoff nous a raconté à ta soirée. À propos, ce Zamétoff est un charmant garçon, seulement, hum… il a eu tort hier de dire tout cela. C’est un terrible bavard !

— Mais à qui donc a-t-il fait ce récit ? À toi et à moi.

— Et à Porphyre.

— Eh bien ! qu’importe qu’il ait raconté cela à Porphyre !

— Pendant que j’y pense : tu as quelque influence sur la mère et la sœur ? Elles feront bien d’être circonspectes avec lui aujourd’hui…

— Je le leur dirai ! répondit d’un air contrarié Razoumikhine.