Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avait qu’un seul costume, et, lors même qu’il en eût possédé plusieurs, peut-être eût-il néanmoins conservé celui de la veille « pour n’avoir pas l’air de faire toilette exprès… » Cependant une malpropreté cynique aurait été du plus mauvais goût ; il n’avait pas le droit de blesser les sentiments d’autrui, alors surtout que, dans l’espèce, il s’agissait de gens qui avaient besoin de lui et l’avaient eux-mêmes prié de venir les voir. En conséquence, il brossa soigneusement ses habits. Quant au linge, Razoumikhine n’en pouvait souffrir que du propre sur sa personne.

Ayant trouvé du savon chez Nastasia, il procéda consciencieusement à ses ablutions, se lava les cheveux, le cou et particulièrement les mains. Quand le moment fut venu de décider s’il se ferait la barbe (Prascovie Pavlovna possédait d’excellents rasoirs, héritage de son défunt mari, M. Zarnitzine), il résolut la question négativement et même avec une sorte de brusquerie irritée : « Non, se dit-il, je resterai comme je suis là ! Elles se figureraient peut-être que je me suis rasé pour… Jamais de la vie ! » Ces monologues furent interrompus par l’arrivée de Zosimoff. Après avoir passé la nuit dans l’appartement de Prascovie Pavlovna, le docteur était rentré pour un instant chez lui, et maintenant il revenait visiter le malade. Razoumikhine lui apprit que Raskolnikoff dormait comme une marmotte. Zosimoff défendit qu’on l’éveillât et promit de revenir entre dix et onze heures.

— Pourvu toutefois qu’il soit chez lui, ajouta-t-il. — Avec un client si sujet aux fugues, on ne peut compter sur rien ! Sais-tu s’il doit aller chez elles, ou si elles viendront ici ?

— Je présume qu’elles viendront, répondit Razoumikhine, comprenant pourquoi cette question lui était adressée : — ils auront, sans doute, à s’entretenir de leurs affaires de famille. Je m’en irai. Toi, en ta qualité de médecin, tu as, naturellement, plus de droits que moi.