plus tard ? Ici, mon ami, tu auras le lit de plume et mieux encore ! Tu trouveras le port, le refuge, la fin des agitations, de bons blines[1], de savoureux pâtés de poisson, le samovar du soir, la bassinoire pour la nuit ; tu seras comme un mort, et cependant tu vivras : double avantage ! Mais trêve de bavardage, il est temps de se coucher ! Écoute : il m’arrive parfois de m’éveiller la nuit ; en ce cas, j’irai voir comment va Rodion ; si tu m’entends monter, ne t’inquiète pas. Si le cœur t’en dit, tu peux aussi l’aller voir une petite fois ; dans le cas où tu remarquerais chez lui quelque chose d’insolite, il faudrait aussitôt m’éveiller. Du reste, je crois bien que ce ne sera pas nécessaire…
II
Le lendemain, à sept heures passées, Razoumikhine se réveilla en proie à des soucis qui, jusqu’alors, n’avaient jamais troublé son existence. Il se rappela tous les incidents de la soirée et comprit qu’il avait subi une impression bien différente de toutes celles qu’il avait pu éprouver précédemment. Il sentait en même temps que le rêve qui avait traversé sa tête était irréalisable au plus haut point. Cette chimère lui parut même tellement absurde qu’il eut honte d’y songer. Aussi se hâta-t-il de passer aux autres questions, plus pratiques celles-ci, que lui avait en quelque sorte léguées la maudite journée de la veille.
Ce qui le désolait le plus, c’était de s’être montré hier sous les dehors d’un « goujat ». Non-seulement on l’avait vu ivre, mais de plus, abusant de l’avantage que sa position de bienfaiteur lui donnait sur une jeune fille obligée d’avoir recours
- ↑ Sorte de galette.