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alla embrasser sa mère. Celle-ci, sans rien dire, la serra avec force dans ses bras. Ensuite elle s’assit et attendit, dans des transes cruelles, l’arrivée de Razoumikhine. Elle suivait d’un œil timide sa fille qui, pensive et les bras croisés, se promenait de long en large dans la chambre. C’était chez Avdotia Romanovna une habitude d’aller ainsi d’un coin à l’autre, quand quelque chose la préoccupait, et, en pareil cas, sa mère se gardait bien de la troubler dans ses réflexions. Razoumikhine, pris de boisson et s’amourachant à brûle-pourpoint d’Avdotia Romanovna, prêtait assurément au ridicule. Toutefois, en contemplant la jeune fille, maintenant surtout que, rêveuse et attristée, elle se promenait, les bras croisés, dans la chambre, beaucoup, peut-être, auraient excusé l’étudiant, sans même qu’il fût besoin d’invoquer à son profit la circonstance atténuante de l’ivresse. L’extérieur d’Avdotia Romanovna méritait d’attirer l’attention : grande, forte, remarquablement bien faite, elle trahissait dans chacun de ses gestes une confiance en elle-même qui, d’ailleurs, n’ôtait rien ni à la grâce ni à la délicatesse de ses mouvements. Son visage ressemblait à celui de son frère, mais on pouvait dire d’elle que c’était une beauté. Ses cheveux châtains étaient un peu plus clairs que ceux de Rodion. La fierté se lisait dans le regard brillant de ses yeux presque noirs qui témoignaient aussi, par moments, d’une bonté extraordinaire. Elle était pâle, mais sa pâleur n’avait rien de maladif ; son visage rayonnait de fraîcheur et de santé. Elle avait la bouche assez petite ; sa lèvre inférieure, d’un rouge vif, se projetait un peu en avant, de même que le menton ; cette irrégularité, la seule qu’on remarquât dans ce beau visage, lui donnait une expression particulière de fermeté et presque de hauteur. Sa physionomie était, d’ordinaire, plutôt grave et pensive qu’enjouée ; en revanche, quel charme n’avait pas cette figure habituellement sérieuse quand un rire gai et juvénile venait l’animer ! Razoumikhine n’avait