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nier, il y a eu un moment… Mais non, je ne pressentais rien du tout, attendu que vous êtes, pour ainsi dire, tombées du ciel. Mais je ne dormirai pas de toute la nuit… Ce Zosimoff craignait tantôt qu’il ne devînt fou… Voilà pourquoi il ne faut pas l’irriter !…

— Que dites-vous ? s’écria la mère.

— Est-il possible que le docteur lui-même ait dit cela ? demanda Avdotia Romanovna effrayée.

— Il l’a dit, mais il se trompe ; il se trompe complètement. Il avait aussi donné un médicament à Rodia, une poudre, je l’ai vue ; mais, sur ces entrefaites, vous êtes arrivées… Eh !… vous auriez mieux fait de n’arriver que demain ! Nous avons eu raison de nous retirer. Dans une heure, Zosimoff lui-même viendra vous donner des nouvelles de sa santé. Il n’est pas ivre, lui, et moi j’aurai cessé de l’être. Mais pourquoi me suis-je ainsi échauffé ? Parce qu’ils m’ont fait discuter, les maudits ! Je m’étais juré de ne plus prendre part à ces discussions !… Ils disent de telles balivernes ! Un peu plus, j’allais me colleter avec eux ! J’ai laissé mon oncle chez moi pour présider la réunion… Eh bien, le croiriez-vous ? ils sont partisans de l’impersonnalité complète ; pour eux, le suprême progrès, c’est de ressembler le moins possible à soi-même. Il nous a plu, à nous autres Russes, de vivre des idées d’autrui, et nous en sommes saturés ! Est-ce vrai ? Est-ce vrai, ce que je dis ? cria Razoumikhine, en serrant les mains des deux dames.

— Oh ! mon Dieu, je ne sais pas, dit la pauvre Pulchérie Alexandrovna.

— Oui, oui… quoique je ne sois pas d’accord avec vous sur tous les points, ajouta d’un ton sérieux Avdotia Romanovna.

À peine venait-elle de prononcer ces mots qu’il lui échappa un cri de douleur provoqué par un énergique shake hand de Razoumikhine.