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— Il est mort, répondit Raskolnikoff. Il a eu les secours d’un médecin, d’un prêtre ; rien ne lui a manqué. Ne troublez pas trop la pauvre femme ; elle était déjà phtisique : ce nouveau malheur l’achève. Réconfortez-la, si vous le pouvez… Vous êtes un bon homme, je le sais… ajouta-t-il avec un sourire, tandis qu’il regardait en face le commissaire.

— Mais vous avez du sang sur vous, observa Nikodim Fomitch, qui venait de remarquer quelques taches fraîches sur le gilet de Raskolnikoff.

— Oui, il en a coulé sur moi… je suis tout en sang ! dit le jeune homme d’un air un peu étrange ; puis il sourit, salua son interlocuteur d’un signe de tête et s’éloigna.

Il descendait l’escalier lentement, sans se presser. Une sorte de fièvre agitait tout son être. Il sentait affluer brusquement en lui une vie nouvelle et puissante. Cette sensation pouvait être comparée à celle d’un condamné à mort qui reçoit inopinément sa grâce. Au milieu de l’escalier, il se rangea pour laisser passer devant lui l’ecclésiastique qui regagnait sa demeure. Les deux hommes échangèrent un silencieux salut. Mais, comme Raskolnikoff descendait les dernières marches, il entendit soudain des pas rapides derrière lui. Quelqu’un cherchait à le rejoindre. C’était Polenka qui courait après lui en criant : « Écoutez ! écoutez ! »

Il se retourna vers elle. La petite fille descendit à la hâte le dernier escalier et s’arrêta en face du jeune homme, à une marche au-dessus de lui. Une faible lumière venait de la cour. Raskolnikoff examina le visage maigre, mais pourtant joli, de Polenka ; celle-ci lui souriait et le regardait avec une gaieté enfantine. Elle était chargée d’une commission qui, évidemment, lui plaisait beaucoup à elle-même.

— Écoutez, comment vous appelle-t-on ?… Ah ! encore : où demeurez-vous ? demanda-t-elle précipitamment.

Il lui mit ses deux mains sur les épaules et la considéra