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qu’un. Mais sa question ne reçut aucune réponse ; tout était sourd et sans vie, comme les pierres qu’il foulait… Soudain, à deux cents pas de lui, au bout d’une rue, il distingua, à travers l’obscurité, un rassemblement d’où partaient des cris, des paroles animées… La foule entourait une voiture… Une faible lumière brillait au milieu du pavé. « Qu’est-ce qu’il y a là ? » Raskolnikoff tourna à droite et alla se mêler à la foule. Il semblait vouloir se raccrocher au moindre incident, et cette puérile disposition le faisait sourire, car son parti était pris, et il se disait que, dans un instant, « il en finirait avec tout cela ».

VII

Au milieu de la rue était arrêtée une élégante voiture de maître, attelée de deux fringants chevaux gris : il n’y avait personne dans l’intérieur, et le cocher lui-même était descendu de son siège ; on tenait les chevaux par le mors. Autour de l’équipage se pressaient une foule de gens contenus par des policiers. L’un de ceux-ci avait une petite lanterne à la main, et, baissé vers le sol, éclairait quelque chose qui se trouvait sur le pavé, tout près des roues. Tout le monde parlait, criait, paraissait consterné ; le cocher, embarrassé, ne savait que répéter de temps à autre :

— Quel malheur ! Seigneur, quel malheur !

Raskolnikoff se fraya tant bien que mal un passage à travers les curieux, et vit enfin ce qui avait occasionné ce rassemblement. Sur la chaussée gisait, ensanglanté et privé de sentiment, un homme qui venait d’être foulé aux pieds par les chevaux. Quoiqu’il fût fort mal vêtu, sa mise n’était